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LA PLUS BELLE 
DE MES HISTOIRES

Avant propos: 
Rocío Durán-Barba

    RESISTIR - Antología de poesía latinoamericana 2020 - RÉSISTER - Anthologie de la poésie latino-américaine 2020 - Novedades - Nouveautes - RDB

    ŒUVRE BILINGUE
    150 POÈTES

    LA PLUS BELLE DE MES HISTOIRES

    Rocío Durán-Barba

    Résister ne sera pas mon œuvre la plus originale. Ce sera la plus belle de mes histoires.

    L’histoire d’une fougue insatiable avec pour vocation de créer-défier-persister. Abattre des barrières. Défendre fidèlement quelques idées. Surprendre l’impossibilité, quand elle voit à quel point elle produit si peu d’effet. Affirmer que la vie ne vaut que pour ce que nous en faisons, par les œuvres que nous réalisons.

    Un instant tapissé de souvenirs a enfanté ce projet. L’Amérique latine ondulait. Son histoire s’élevait. La clarté de ses aubes argentait le paysage. Un lutin animait l’univers de ses légendes. Et une lointaine rumeur andine invitait à méditer sur le monde, le sens de la vie et du présent.

    C’est alors que j’ai pris rendez-vous avec l’hier et l’aujourd’hui. Avec un ensemble de pays qui peuvent communiquer. Partager. Se contempler… J’ai pris rendez-vous avec des voix disparates-apparentées. Voix sonores. Véhémentes. À l’accent grave. Parfois tragique. Souvent mêlées au va-et-vient de tangos et de boléros… au tintement d’une salsa continuelle…

    Un jour, au cours d’une session du Comité du PEN France – une association composée à l’origine de « poètes, essayistes, nouvellistes » –, j’ai présenté le projet : « une anthologie poétique consacrée aux centres PEN latino-américains ». Or l’idée se serait évaporée si le président du club français ne l’avait trouvée pertinente et décidé de lui accorder son soutien. De fait, cette initiative allait permettre de rapprocher le PEN France des centres PEN latino-américains.

    C’est alors qu’un chapitre inédit s’est ouvert. Et tel un navire, je l’ai jeté à la mer. Contre vents et marées. Comme s’il s’agissait d’un rêve. De ceux qui semblent absurdes. Insensés. Peu réalistes. Mais qui deviennent inévitables lorsque nous les poursuivons avec foi. Et les poussons vers l’avant comme un engagement.

    Dans un premier temps, peu de gens y ont cru. Perçu comme une folie, un travail démesuré… Il semblait impossible à réaliser. Il n’y avait pas d’argent… Toutefois, je pouvais m’appuyer sur la Fondation culturelle que je préside – Fondation basée en Équateur, dédiée à la diffusion de la culture équatorienne et hispano-américaine, à but non lucratif et qui compte, avant tout, un trésor : des membres dont la détermination et la passion ne connaissent que peu de limites.

    J’étais consciente de l’ampleur du projet, du travail qu’il impliquait. Je savais que j’allais marcher sur un fil de solitude. En équilibre-déséquilibre. Entourée de questions multiples-répétitives-aléatoires. Mais ma décision était prise :  faire aboutir ce projet !  Résister.

    Immédiatement, j’ai rédigé une lettre :

    « Dans le monde où nous vivons la littérature ne peut plus, sauf à se noyer dans les murs intérieurs d’un pays, être l’apanage exclusif d’une élite, d’un peuple ou des modes. Notre époque appelle à l’ouverture, au partage, à l’entente entre écrivains, toutes nationalités confondues. La grandeur littéraire de la France, centre historique des lettres, doit se tourner encore plus aujourd’hui vers l’ouverture sur le monde.

    Suivant cette idée, le PEN France invite les centres PEN de l’Amérique latine à faire partie d’une anthologie poétique autour de l’une de ses devises : résister. »

    En Amérique latine, la nouvelle souleva une vague d’enthousiasme. Euphorie. Le projet ouvrait les portes de la France d’aujourd’hui aux poètes latino-américains actuels ! Cette réaction m’incita à aller de l’avant. À espérer que ce livre permette de resserrer les liens entre le PEN France et les centres PEN latino-américains. Qu’il devienne une vitrine internationale de la poésie de l’Amérique latine. Je me mis à cheminer d’un pas décidé. À gesticuler et travailler tel un être sorti d’une peinture d’Orozco, avec force et délire. De ces êtres qui peuvent rester incompris jusqu’à la fin des temps.

     Quatorze centres PEN appelèrent leurs membres à participer – et chacun choisit dix poètes vivants, représentatifs de leur pays. Leur collaboration fut engagée et efficace. Comme le fut, plus tard, celle de quatorze membres, parmi les plus distingués du PEN France, pour la rédaction d’une petite préface dédiée à chacun des pays participants.

    De toute évidence, le projet aboutit à mettre en valeur la poésie latino-américaine. La poésie actuelle. Poésie vivante. Celle qui transmet le verbe. Qui amalgame au mieux solitude et fraternité. Exprime notre monde avec la force unique qu’elle possède. Qui est fleuve. Courant et contre-courant. Vision nous permettant de nous éloigner d’une réalité pour prendre conscience qu’il en existe une autre. Capable de se poser hors de tous paysages. De traverser nos âmes sans temps et sans limites. De redonner voix au silence. À l’errance. À l’espoir. Tout en ramenant les traces d’hier pour enfanter un lendemain. Créer un instant. Une image. Un éclat à recouvrer.

    Une équipe de traducteurs de haut niveau s’avérait indispensable pour faire écho, en France, à la poésie d’écrivains sélectionnés par les centres PEN latino-américains. Heureusement, des professionnels reconnus ne tardèrent pas à se porter volontaires avec une grande générosité. Ils ont su mettre leurs compétences linguistiques et littéraires au service des œuvres qui leur étaient proposées.

    C’est ainsi que ce livre réussit à faire défiler, à l’unisson et en deux langues, un ensemble spectaculaire de poèmes latino-américains. Poèmes remplis d’événements-aspirations-joies-douleurs. Débordants d’émotions. Poèmes dressés sur les pages les plus marquantes de l’histoire récente du continent. Poèmes avides de réinventer la vision du monde. De rendre visible ce qui n’est ni ici ni là. L’imperceptible. Empreintes. Pressentiments. De faire entendre ce qu’on n’écoute pas. L’instant. L’écho de tambours. La rumeur des langues autochtones… Poèmes qui surprennent en survolant des terres allant du Mexique jusqu’au Cap Horn, portés aux quatre vents. Vents de sang et de vin. Vents d’amour.

    Les pages qui suivent garderont pour moi, le souvenir de mains qui se sont dévouées pour accompagner la réalisation de ce livre. Le souvenir d’innombrables échanges, missives. De quelques aveux : « grâce à cette convocation, j’ai repris ma plume », « le thème m’a appelé à me réveiller », « je me suis rappelé ce qu’est lutter », « ça a été un répit dans un pays où le mot se noie »…

    Devant ce panorama, je ne peux qu’élever des vœux pour que cette poésie persévère en battant des ailes à l’infini. Soit élixir. Continue à se nourrir de nos valeurs latino-américaines impérissables. À chanter nos traditions. Qu’elle porte très haut notre emblème : « résister ».

    Parce que résister c’est vivre. Défendre la vie. La sienne et celle d’autrui. Exister décidément. Croire au chemin. Prendre la mer. Tenir face à la tempête. Tendre les voiles. Rechercher le vent porteur. Aimer.

    Résister c’est lutter. Lever les yeux. Respirer l’horizon. Proclamer que la lumière existe. Aspirer au possible-impossible. Se battre pour que le bon soit le meilleur. Aimer.

    Résister c’est poursuivre. Visiter la mémoire et ses latitudes indicibles. Recouvrer la sérénité. Les yeux. La vision. Renommer les jours. Surmonter la misère humaine. Aimer.

    Résister c’est marcher. Avancer au-dessus des courants adverses. Conquérir les routes de l’arc-en-ciel. Dénicher les clés de la vie. S’installer dans la maison de demain. Près de la braise où l’âme fleurit et se réalise. Aimer.

    Et pour nous, poètes qui avons la parole entre nos mains, résister c’est écrire. Brandir le verbe lorsque le déséquilibre règne. Lorsque l’esprit faiblit. Le quotidien devient négatif. Le désir de prospérité s’efface. Résister.

    Écrire. Quand les idéaux s’amenuisent. L’espoir s’absente. La satiété matérielle connaît son summum. Les sociétés souffrent de chaos-myopie-dépression. Résister.

    Écrire. Dénuder la lumière. Arborer la parole tel un phare. Redessiner le-jour-la-nuit. Refuser de respirer à la marge. Élargir le verbe-le-regard. Résister.

    Écrire sur les sentiers des champs. Sur l’écume de la mer. Sur le souffle de la liberté. Résister.

    J’ai rêvé de ce livre. Oui. Maintenant qu’il est terminé je le contemple. Et je voudrais ne pas me réveiller. Il est le hasard le plus heureux que le destin ait mis sur mon chemin. Un désordre d’émotions au rythme des paroles qui arrivaient. Paroles empreintes de l’arôme de nos terres. Du mystère de nos paysages. De l’écho de nos chapitres en feu…

    Aujourd’hui, je voudrais que ma collaboration, ma complicité avec vous, les 150 écrivains qui façonnez ce livre, soit comme la mer. Que de la plage on puisse en voir le début, jamais la fin. J’avais l’intention de vous adresser un court message, mais il s’avère que je voudrais vous dédier un livre. Un récit infini pour continuer ensemble. C’est incroyable à quel point nous nous croyions si loin. À quel point nous étions si proches. La distance ne signifie rien quand la poésie signifie tout.

    Maintenant l’après se lève. Un air dominical s’installe. Le pont où je vis entre la France et l’Amérique latine semble indifférent au bruissement du dehors. Je me penche à l’horizon de notre livre. Dévisage sa parole. Elle se révèle inébranlable. Je tente de retenir sa voix. Au moins le contour de ses pages. Mais il s’envole à la recherche de son destin. Je regarde les couleurs de tous ses colibris. L’ampleur de leur fougue. Quelque chose revient qui s’éloigne. Le visible-invisible. Le temps pointe et quelque chose dégringole. J’efface la menace de l’oubli. Sa parole doit continuer alerte-vitale. Il y aura ceux qui lui prêteront une âme attentive. Ceux qui l’accueilleront avec bienveillance.

    Personnellement, je retiens la fragrance de son histoire pour fortifier mes heures. La danse d’une multiplicité de plumes tournées vers l’avenir. Le ton des poèmes qui se dressent sur la courbure de l’aurore. Avec le même regard. Le même chapeau. Résister.

    Mon désir se tend, assoiffé du paysage. Sommets-fleuves-vallées-sentiers se sont rassemblés autour de l’espérance.

     

    Paris, septembre 2019

    Rocío Durán-Barba, française, équatorienne, est romancière, poète, essayiste, journaliste, artiste-peintre, Ambassadrice Universelle de la Culture. L’une des plumes les plus remarquables dans l’univers actuel de la littérature latino-américaine (Claude Couffon). Auteure de plus de 70 livres, a reçu de nombreux prix. rocioduranbarba.com  

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